Organisées depuis plusieurs années par le PILEn dans le cadre du “Futuranima” - le volet professionnel du Festival Anima - les Rencontres de la webcréation ont pour ambition de favoriser les échanges de bonnes pratiques, les collaborations et partenariats et la visibilité des œuvres dans le domaine des nouvelles écritures. Cette année, cinq intervenant·es ont été invité·es à aborder les étapes qui jalonnent la concrétisation d’un projet d’écriture hybride, les aides financières qui soutiennent de tels projets, les freins et leviers rencontrés par les artistes. Retour sur ces échanges instructifs et passionnants, modérés de main de maître par Anne-Lise Remacle. 

Deux projets d’écriture hybride étaient au centre des Rencontres de la webcréation : Dremmwel, un projet porté par Laurence Grun et Pierre Vanneste, et Still Heroes, un projet porté par Exaheva. Au cours de cet échange, les artistes sont revenus sur le choix et l’évolution de la forme hybride, la mise en forme du projet, la distribution, la diffusion, les soutiens dont ils ont pu bénéficier et le rapport au public. En parallèle, Sacha Goerg et Aurore Boraczek ont abordé respectivement les questions de la formation des artistes en BD numérique, du rôle d’une association d’auteurs et autrices de BD ainsi que de l’accompagnement de projets audiovisuels et hybrides par un cluster tel que screen.brussels. 

Phases d’écriture et de développement du projet 

Dremmwel est un livre photographique à contenu vidéo en réalité augmentée. Ce projet qui traite de la problématique de la surpêche a été tourné en Atlantique Nord-Est, Bretagne, Méditerranée, dans le bassin du Golf de Gascogne ainsi que dans les eaux sénégalaises (pour en savoir plus, cliquez ici).

Comme pour tout projet hybride, le choix de la forme a fait l’objet de longues réflexions et d’une évolution. Dremmwel était au départ pensé comme un reportage photo et vidéo. Est ensuite né le désir d’en faire une plateforme webdocumentaire à la manière des livres dont on est le héros et qui offrirait la possibilité de naviguer dans le livre et les chapitres à sa guise. Finalement, en découvrant la réalité augmentée, Laurence et Pierre ont trouvé une forme qui répondait au désir de lier le réel et le virtuel, d’avoir une approche complémentaire et uniforme et non des projets éclatés qui ne se rencontraient pas.

Le projet abouti consiste en un livre édité par la maison d’édition liégeoise Yellow Now et des expositions qui se répondent. À partir d’un lien en ligne, le public peut scanner les photographies et accéder à des contenus audiovisuels et textuels supplémentaires ainsi qu’aux commentaires des pêcheurs. 

Still Heroes est un projet qui fait se rencontrer les univers de la bande dessinée et du jeu vidéo. L’objectif d’Exaheva était de mélanger ces deux types de support par lesquels elle est attirée depuis toujours. La base du développement de ce projet était donc d'imaginer un type d’histoire et le format adéquat.

Côté histoire, Still Heroes s’inspire d’un modèle classique de la bande dessinée : le super-héros. Cependant, le modèle est ici décalé et implanté dans une réalité très concrète. Émeline, super-héroïne, contrôle l’électricité. Sa bande d’amis, également dotés de pouvoirs, lui annoncent qu’ils préfèrent “raccrocher la cape” et se ranger, ce qu’elle a du mal à accepter. L’histoire met ainsi en lumière des thématiques universelles telles que la nécessité de s’adapter, le passage à l’âge adulte, l’entrée dans la vie active et la difficulté de trouver sa place.

En ce qui concerne le format, la volonté d’Exaheva était d'adapter la BD au support numérique en réfléchissant chaque aspect pour une lecture sur écran. Un aspect primordial dans la réflexion initiale était le désir de rester avant tout dans l’univers de la BD en utilisant les outils digitaux (clic, clavier, moments animés, sons) pour renforcer la narration, appuyer l’histoire et créer une connexion entre les lecteurs et le personnage principal. Il n’y a donc pas de choix de narration proposés au public mais diverses interactions et actions à exécuter au fil de l’histoire via un processus proche du point and click (où la flèche change d’aspect pour indiquer une interaction) (pour en savoir plus, cliquez ici).

Diffusion, distribution, soutiens financiers

Trouver un, voire plusieurs, soutiens financiers est généralement une étape incontournable du développement de tels projets. Tout ce qui touche au transmédia évolue rapidement et les manières de consommer ce type de création également. Un format peut être très bien financé à une période donnée puis se retrouver à l’arrière-plan, s’il est trop coûteux, à l’instar du webdocumentaire en France. 

Un projet immersif comme Dremmwel, développé sur plusieurs années, nécessite de trouver des financements et établir des contacts sur place. La difficulté ? Faire se rencontrer différents partenaires qui appartiennent à divers secteurs. Le porteur de projet doit créer ce lien, monter des dossiers de financement dans lequel il faut raconter une version du projet qui intéresse le financeur potentiel, mettre l’accent sur ce qui le concerne en particulier au sein du format hybride sans dénaturer la base du projet. Pour le créateur et la créatrice de Dremmwel, la rencontre avec différents producteurs a constitué une aide précieuse dans la recherche de financements. 

Exaheva souligne également la difficulté que représente l’aspect économique dans une création hybride. Elle explique qu’auparavant, les projets pouvaient prendre à peu près n’importe quelle forme tandis qu’aujourd’hui, la forme est contrainte par la plateforme d’hébergement. Deux bourses, l’une de la commission BD de la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’autre de la Province de Liège pour le développement d’une bande dessinée numérique, ont permis à Still Heroes de voir le jour. La diffusion reste une difficulté pour le porteur de projet car il n’existe pas de plateforme dédiée à la bande dessinée interactive en tant que telle. Pour cette œuvre, les plateformes de jeux vidéo conviennent davantage que le format vertical du webtoon.

En Région bruxelloise, le cluster screen.brussels est une des ressources qui existent en matière de financement. Il s’agit d’une entité régionale qui soutient financièrement les porteurs et porteuses de projet, principalement dans le domaine de l’audiovisuel. Screen.brussels porte à présent une grande attention sur les projets hybrides ainsi que sur les écosystèmes nouveaux qui éclosent, sur le métissage des genres, des contenus, des formats et des narrations. Le cluster, l’une des quatre entités qui compose screen.brussels, accompagne les créateurs et créatrices dans le développement de leurs projets. Il fournit une aide dans la recherche de partenariats, le réseautage, la participation à des marchés et l’internationalisation ainsi que la révision de stratégies pour la diffusion et distribution. Cette aide s’adresse aux créateur.rices et entrepreneur.ses bruxellois.es.

Dans le domaine de la bande dessinée, il existe également des associations telle l’ABDIL (Auteur.trice.s de l’illustration et de la bande dessinée réuni.e.s). En tant que fédération d’auteurs et d’autrices, l’ABDIL n’a pas mission de promouvoir un format en particulier. Elle fournit une aide aux personnes du métier, peu importe la spécificité de leur pratique et fait de la redirection vers une série de services en fonction des demandes des auteurs et autrices. Pour Sacha Goerg, membre du comité de réflexion et de représentation de l’ABDIL, savoir se vendre et être présent en ligne, quand on est illustrateur ou illustratrice BD, est primordial. Instagram est le réseau incontournable à l’heure actuelle et il est important de réfléchir son format et les déclinaisons possibles en fonction de cet aspect.

Le rapport au public, aux communautés

Pense-t-on au public lorsqu’on conçoit un projet d’écriture hybride ? Est-ce que ce type de projet, par sa nature mixte, permet de démultiplier l’audience ? Autant d’interrogations auxquelles ont répondu les porteurs et porteuses de projet.

La question du public était secondaire pour Exaheva durant la conception de Still Heroes. Le projet était avant tout une expérimentation personnelle, ce qui n’empêche pas les doutes et la crainte de ne toucher personne. Les modes de consommation sont, d’après elle, très fragmentés actuellement. Se lancer dans un format hybride est donc un risque. Son objectif est de créer une œuvre la plus qualitative possible. Venant de l’univers du fanzine et de sa diffusion gratuite, l’aspect monétaire n’est pas pour elle le focus principal. De plus, Exaheva regrette que dans la BD numérique, les plateformes imposent des cadres (sur Instagram notamment). Ce qu’elle aime, c’est décloisonner. 

Pour le créateur et la créatrice de Dremmwel, le public est un aspect qu’on ne peut ignorer. Le transmédia offre la possibilité de profiter de différents médias, de plusieurs canaux de diffusion. Il faut réfléchir aux moyens de lier les différents publics. Décloisonner, c’est aussi pouvoir passer d’une plateforme à l’autre et la contrainte du format doit se réfléchir en fonction de cela. Tous ces paramètres offrent également la possibilité de faire travailler différents corps de métiers. Comment faire vivre le projet, voilà une question qui doit présider à toute création. 

Vous n’avez pas pu assister à notre table ronde ou souhaitez réécouter nos intervenants et intervenantes ? L’entièreté de la rencontre est disponible en ligne jusqu'au 1er octobre 2021 dans la Futuranima Video Library pour les détenteurs et détentrices d’un accès durant le Festival Anima.