En octobre dernier, le Gouvernement de Wallonie a débloqué 3 millions d’euros pour soutenir face à la crise les industries culturelles et créatives (ICC), dont le secteur du livre fait partie intégrante. St’Art, outil de financement innovant né en 2009, a été choisi pour piloter cet appel à projets d'envergure qui comprenait un volet « structuration de filière ».
Dans le cadre de son chantier « Contrat de filière », le PILEn a souhaité s’entretenir avec Virginie Civrais, directrice générale du fonds, afin de mieux comprendre le fonctionnement de St’Art et son regard sur le milieu du livre en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le fonds d’investissement dans les industries culturelles (St’Art) a été créé en 2009 afin de soutenir la création et le développement de structures dans l’économie créative. Pouvez-vous présenter le fonctionnement de cet outil ? Quel rôle a joué la Région wallonne dans sa mise en place ?

St’Art est une société anonyme de droit commercial capitalisée par le secteur public. Elle a été créée en 2009 suite à la volonté commune de la Région Wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles de proposer un outil de financement au secteur dit « des entreprises culturelles et créatives ». En 2014, les deux actionnaires fondateurs ont été rejoint par « finance&invest.brussels », l’outil d’investissement de la Région bruxelloise, ce qui a permis de renforcer le champ d’action territorial de St’Art, c’est-à-dire Bruxelles et la Wallonie.

Pour financer des entreprises actives dans les arts, la culture, et plus largement la créativité, St’Art met à disposition deux leviers : d’une part, le prêt auprès de sociétés et, d’autre part, la prise de participation au capital de sociétés.

Toutes les industries culturelles et créatives, ou « ICC », sont concernées par ces soutiens, à travers trois secteurs d’activités que l’on présente souvent sous forme de cercles concentriques, du plus précis au plus large. D’abord, il y a toutes les activités liées à l’art et la culture (arts plastiques et scéniques, musées et patrimoine, …), ensuite celles touchant à la création et à l’exploitation de droit (musique, livres, jeux vidéo, …), et enfin celles relevant plutôt du pan industriel, comme on le voit dans les domaines du design, de la mode, de l’architecture ou de la publicité par exemple. Globalement, St’Art finance avant tout la création, entendue comme ce qui est matérialisable et soumis à la propriété intellectuelle, mais aussi le développement de marques (mode, design…) et l’innovation non-technologique.

Il faut souligner l’originalité d’un outil public comme St’Art, qui n’est pas encore répandu aujourd’hui en Europe. C’est un modèle atypique, précurseur, même s’il y a eu un modèle approchant en Flandre dès 2005 avec CultuurInvest (PMV).

Le développement de St’Art correspond à une certaine démocratisation du concept d’ « ICC » (Industrie Culturelle et Créative). Celui-ci n’est pas encore clair pour tout le monde, d’où vient-il et que recouvre-t-il ?

La création de St’Art a été inspirée par des travaux européens, réalisés à l’aune des années 2000 par la DG Culture, qui étudiaient le poids économique des entités des secteurs culturel et artistique, qu’on n’appelait pas encore « ICC » à l’époque. Ces études ont permis de créer ce concept en délimitant un ensemble d’activité liées pouvant être traduites par du PIB européen. Cela a de fait permis de reconnaître la réalité économique des arts et de la culture, en parlant de poids économique, de marqueurs sur l’emploi, de capacité d’innovation, etc.

Le concept d’ICC n’a cessé de croître depuis et s’utilise aujourd’hui régulièrement, même s’il y a toujours des confusions quand on parle de « créativité » – le terme ayant un sens différent pour chacun et chacune. Pour St’Art, ce terme est clairement lié à des sous-secteurs et à une phase spécifique de travail.

Comme évoqué précédemment, la Belgique francophone a été pionnière en mettant sur pied l’outil St’Art, qui intéresse aujourd’hui les autorités européennes. On s’interroge en effet beaucoup actuellement sur la façon d’attirer des financements privés à côté d’investissements publics, surtout dans un domaine où l’investissement traditionnel n’existe pas ou peu. Il est en effet encore aujourd’hui beaucoup plus difficile d’attirer des banques, par exemple, dans des environnements liés à la création, l’innovation ou l’exploitation de droits que dans le bâtiment (infrastructures culturelles), où il existe des garanties hypothécaires. L’investissement dans l’art et la culture paraît encore trop risqué pour beaucoup, pourtant St’Art fonctionne comme une société d’investissement et demande à leurs partenaires les mêmes garanties : plan d’affaire, plan financier, identification au sein de la filière d’activité, avantage concurrentiel, solvabilité s’il y a emprunt, rentabilité sous forme de dividende s’il y a participation au capital, etc.

St’Art agit comme un levier économique permettant d’apporter des solutions à un secteur où le recours au financement externe est encore trop rare. Or, pour se développer, toute société doit bénéficier d’un tel apport.

St’Art a-t-il une vision pour le futur des ICC en Belgique ? Quels sont les points d’attention pour ces secteurs aujourd’hui économiquement fragilisés ?

St’Art  n’a pas pour rôle de définir des politiques communautaires ou  régionales,  en revanche elle peut identifier des secteurs opportuns et répond de façon ponctuelle à des acteurs en demande de financement. Il n’y a donc pas de vision a priori, nous ne réservons pas X somme pour un secteur Y. D’autant plus que les choses évoluent très vite. Nous préférons rester ouverts aux opportunités et besoins du terrain, même si certaines filières semblent offrir davantage d’opportunités. Au démarrage de St’art, nous avons pu, parmi d’autres, identifier les secteurs de la mode et du design comme potentiellement importants car déjà structurés en Belgique; et nous pensons qu’il y a de nouvelle possibilité d’ouvrir le secteur du jeu vidéo aussi. Nous avons aussi par exemple créé le prêt culture avec l’intention manifeste de booster les modèles économiques sur lesquels reposent des acteurs de la culture, comme les musées ou les théâtres.

En règle générale, on observe l’importance de la structuration de ces filières, celle-ci se traduisant très concrètement par la qualité des écoles y afférant, la présence d’entrepreneurs ou d’individus indépendants actifs jouissant d’une reconnaissance nationale et à l’étranger, un bon chiffre d’affaire et un développement économique tourné vers l’internationale. Toute amélioration sur ces questions est donc évidemment encouragée par St’Art.

Dans le cas du livre, certains jalons ont déjà été posés – notamment grâce au rôle du PILEn, qui a contribué à la visibilité du secteur ces dernières années.