Dans la perspective des Rencontres de la Webcréation #10  (« financer et développer un projet d’écriture hybride »), nous vous invitons à découvrir les deux porteurs de projets innovants qui seront présents lors de la discussion. 

Pierre Vanneste a été formé à la photographie à l’INRACI puis a rejoint le Hans Lucas Studio en 2017. Son œuvre, tout aussi artistique (avec une prédilection pour le noir et blanc) que documentaire (avec une prédilection pour les sujets qui grattent), témoigne de son envie de rester au plus près du sujet et d’interroger le vieux monde en proie à certains ravages (sociaux comme environnementaux) de la modernité. Son travail a notamment été remarqué au dernier festival de Perpignan, repéré par le FoMu d'Anvers lors du dernier ".Tiff" consacré à la photographie émergente en Belgique et il bénéficie d’une bourse Photographe 2019 de la Fondation Jean-Luc Lagardère pour son prochain projet de reportage, PO4, de la fertilisation à l'épuisement des sols

Avec sa partenaire Laurence Grun (réalisatrice documentaire et journaliste), ils ont fondé Nuit noire production (« espace de réflexion et de création transmédia pour une écriture documentaire critique ») afin de porter au jour des projets ambitieux, nécessitant un travail de terrain sur la durée mais aussi un accompagnement à la diffusion une fois les œuvres finalisées. Leurs deux profils (elle plutôt orientée texte, lui plutôt orienté images) permettent de concevoir des dispositifs aussi complets que possible.

Familiers du territoire sénégalais, ils sont intéressés à la question du PSE (Plan Sénégal émergent) adopté par le président Macky Sall en 2014. Supposé apporter la modernité à l’ensemble du pays d’ici 2035, son impact s’avère critique pour la commune de Bargny et sa population déjà fragilisée par la construction d’une usine de charbon dès 2008. Parmi leurs témoins, Cheikh Fadel Wade, habitant local et coordinateur d’un Collectif de Communautés très critique sur les promesses du pouvoir public dans leur région. Il voit d’un mauvais œil l’arrivée d'un pôle urbain de développement à destination des classes supérieures dakaroises et des investisseurs étrangers (ce qui entraîne des délocalisations et des expulsions). Construit sous forme de webdocumentaire (capsules vidéos, images, plages de textes), Bargny, ici commence l’émergence (2018) vous fait naviguer entre les quatre points cardinaux pour envisager toutes les facettes du problème. Soutenue par Basta ! Mag et le Soir et réalisée grâce au soutien de la Rosa Luxemburg Fondation et du CNCD 11.11.11, la partie « film documentaire » de l’initiative transmédia a notamment été montrée aux publics de la quatrième édition de Coupe-Circuit, festival participatif des réalités citoyennes, chapeauté par le Gsara.

Fort de cette première expérience aboutie et dans l’envie d’aborder d’autres problématiques connexes, Nuit noire production s’est ensuite intéressé à la question de la surpêche, entre les côtes bretonnes et sénégalaises, en observant les articulations entre la problématique environnementale et humaine. Les pêcheurs sénégalais, voyant leur gagne-pain devenir de plus en plus décimé, doivent s’aventurer plus loin – avec des risques évidents – voire sont nombreux à s’exiler (désertant les villages de la côte) non sans provoquer une vigilance accrue de Frontex, aboutissant à des rapatriements voire à des peines de prison. 

Si le projet Dremmwel (qui regroupe Dremmwel et La Tragédie des Communs) était à l’origine pensé pour un même type d’objet final que son prédécesseur (avec une aide – aujourd’hui disparue sous cette forme – aux nouveaux médias obtenue dans ce sens), la forme a dû être revue, au vu des difficultés rencontrées désormais pour financer des formats webdocumentaires. Une rencontre avec Bastien Duval de chez Blinkl va être providentielle. Pourquoi ne pas imaginer que la partie interactive du projet (capsules vidéos) puisse être déclenchée grâce à leur nouveau procédé qui permet des expériences augmentées sans besoin d’application ? 

Depuis août 2020, si vous souhaitez découvrir ce projet immersif, fort visuellement et puissamment documenté, vous avez donc plusieurs portes d’entrées possibles : au cœur du dispositif le livre (qui regroupe Dremmwel et La Tragédie des Communs)  publié par l’éditeur liégeois Yellow Now qui regroupe la première partie de ce travail d’auteur, à savoir les photographies de Pierre Vanneste et les textes de Laurence Grun. C’est aussi ce support papier qui vous donne accès, en scannant certaines photographies à du contenu supplémentaire (vidéos, témoignages et commentaires de l’artiste). Comme une façon de naviguer entre supports pour mieux s’imprégner de cette question qui nous concerne tous, nous qui consommons volontiers du poisson sans nous préoccuper des conditions dans lesquelles il est pêché ni sans toujours nous soucier de l’épuisement des ressources naturelles.

En breton, Dremmwel signifie « horizon ». Nous ne pouvons que souhaiter pour ce beau projet déjà finalisé la possibilité de toucher de nouvelles rives et publics. Nous savons qu’il tenait à cœur à Nuit Noire Production que les sujets du documentaire à Dakar aient accès à cette matière pleine de houle et de grain construite aussi grâce à eux. S’ils n’ont pas pu, comme pour leur longform Bargny, ici commence l’émergence, envisager de montrer leur travail sous forme de photographies collées dans les rues de Dakar ou des territoires environnants, cela fait partie des dispositifs qui pourraient s’envisager en des temps meilleurs, tout comme des expositions dans des festivals européens. 

Comment aussi s’assurer d’une distribution - diffusion conçue en fonction de l’audience visée (et au-delà) ? Comment ne pas trahir l’ADN de son projet mais rester flexible face à son mode de narration en fonction des financements possibles ? Comment s’assurer du soutien financier de plusieurs partenaires ?

Cela fera partie des pistes de réflexion qui seront mises en commun  lors des Rencontres de la Webcréation #10 – financer et développer un projet d’écriture hybride, ce jeudi 18 février à 14h, dans le cadre de Futuranima.

 
 crédit photo © Pierre Vanneste